n° 79septembre 2020Le Chercheur d’OrScènes de chassedans un salonLe Chercheur d’Or a déjà présenté un exceptionnel papier peint panoramique du XIXe siècle, conservé à Saint-Junien (n° 46, juin 2012). Mais le plus étonnant, c’est qu’une autre maison de notre commune a préservé, elle aussi, un décor de papier peint tout aussi ancien et remarquable.Saint-Junienthéâtre d’un roman historiqueEn 1858, la maison Martial-Ardant-Frères, éditeurs à Limoges, publie un ouvrage pour la jeunesse intitulé Aventures extraordinairesde deux bourgeois ou Un siège en Limousin par les calvinistes. Toute l’action du roman se déroule à Saint-Junien, en 1569.C’EST dans le salon d’une belle demeure rurale que se déploie ce panoramique, sur trois des quatre murs (le papier peint a disparu sur le quatrième). Les lés sont collés dans de larges cadres ménagés dans les boiseries pour former des tableaux représentant une série de scènes de chasse : chasse à courre à la poursuite d’un cerf, chasse au vol, chasse au gibier d’eau sur une barque, chasse au sanglier… Les costumes des personnages – cava-liers, dame, valets de chasse – permettent de situer les scènes à la fin du Moyen Âge ou au début de la Renaissance. Les paysages qui servent de cadre à la chasse montrent des châteaux-forts, un village, des ruines, une rivière, des bois et des landes, le tout dessiné avec beaucoup de finesse. Quant aux personnages, hommes et animaux (chevaux harnachés, chiens en meute, gibier), ils sont habilement saisis en plein Le n°12des Dossiersdu Chercheur d’Orest paruAU SOMMAIRE :Les patronymes de Saint-Junien, la généalogie de la famille Mazaud, la Boulonnie, la forêt de Brigueuil, la fondation du couvent des Franciscains, Georges Gaudy et La Ville Rouge, la reconstruction du clocher. 76 pages, nombreuses illustrations.En vente à La maison de la Presse,rue Lucien-Dumas, 15 €.Septembre 2020 / Le Chercheur d’Or n° 79 1mouvement. Certes, les couleurs autrefois très vives sont ternies par le temps et des traces d’humidité sont visibles ainsi que de nombreux petits accidents, mais l’ensemble reste d’une grande qualité. Un autre élément fait le grand intérêt de ce décor : à la différence de la plupart des papiers peints du XIXesiècle, il n’est pas imprimé à la planche de bois, mais peint à la main sur rouleaux de papier ; une technique pour le moment peu documentée. Détail du papier peint, la chasse au cerf.Détail du papier peint, le seigneur et sa dame.Publicité dans Le Courrier du Centre, 14 avril 1861.Quant à sa datation plus précise, elle peut être attribuée à deux périodes, car la maison a été édifiée dans les années 1830, mais profondément transformée entre 1880 et 1890. Un indice cependant plaide en faveur de la seconde hypothèse : le propriétaire, entre 1884 et 1890, est Charles Rempnoulx du Vignaud (Confolens 1859-1917) dont on sait qu’il était passionné de vénerie et possédait un équipage de 10 à 20 chiens. Cela pourrait expliquer le choix du décor.Ajoutons une dernière information : on connaît l’existence à Saint-Junien, d’une fabrique de papiers peints, fondée par Amand Joseph Poulain, imprimeur en papier peint venu de Paris vers 1848. En 1861, l’atelier est repris par Pierre Déserces, son ancien associé, sous la marque A Solférino, mais il disparaît peu après. Frank BernardC’EST un récit d’imagination mais l’auteur, Lavayssière, a puisé le cadre de son roman dans un épisode historique authentique, rapporté en 1847 par l’abbé Arbellot dans ses Documents historiques sur la ville de Saint-Junien : le siège de la cité par une armée protestante qui vient de s’emparer de Chabanais et de passer ses défenseurs au fil de l’épée.Lavayssière met en scène des personnages historiques : François Singareau et le chanoine Jean Lamy, animateurs de la défense de la ville, mais aussi Amand Surin, Yrieix Prestaseigle et Junien Courteaud, Saint-Juniauds ralliés aux calvinistes. Dans ce cadre historique, il insère une intrigue dont les héros, Chabodieu et Le Gascon, sont deux valeureux bourgeois catholiques. Envoyés à Limoges pour demander du secours, ils tentent en vain de revenir dans la ville assiégée. Celle-ci, après avoir vaillamment résisté, doit finalement capituler. Livrée au pillage, elle est aussi soumise à une énorme rançon. C’est alors que les deux héros vont réussir, par chance et témérité, à reprendre aux pilleurs une bonne partie des 10.000 écus exigés par les vainqueurs.Beaucoup de lieux cités dans le roman nous sont familiers : Saint-Amand, le Châtelard, la chapelle et le pont Notre-Dame. D’autres noms, aujourd’hui disparus, étaient encore usités au temps de Lavayssière : la rue Saint-Pierre (rue Louis-Codet), la porte et la rue Saler (rue Jean-Jacques-Rousseau), le faubourg Voie-du- pont (faubourg Blanqui)… Le récit nous montre la ville abritée derrière ses remparts – dont il nous reste quelques vestiges – tandis que les protestants brûlent les couvents des Jacobins et des Cordeliers.Destiné à la jeunesse, le roman est empreint de morale catholique : les protestants sont cruels et leurs alliés, les routiers, sont d’abominables créatures qui d’ailleurs seront finalement punies. L’ouvrage est écrit dans le style du XIXe siècle, mais de belles pages nous font vivre l’action, comme celle de l’évasion des deux « méchants » de l’histoire :Au fond de la cave, à gauche, se trouvait un trou fort étroit ; Margnou s’y glissa, et son compagnon l’y suivit. Ce trou donnait entrée à une retraite souterraine qui communiquait, par une longue galerie, sous l’église où furent depuis les Filles de Notre-Dame.Les deux condamnés, haletants, osant à peine s’accrocher à l’espérance du salut, s’avancent en rampant sous cette galerie. Au bout se trouvent quelques marches ; ils les montent ; une porte les arrête… Mouzeaud, avec la force du désespoir, l’attaque, l’ébranle, et finit par la forcer… Ils sont dans une église, mais dévastée par les huguenots… la porte en est ouverte… ils n’osent se jeter dans la rue. La ville est plongée dans le silence […] Ils descendent furtivement la rue Saler ; mais la porte est gardée par un poste. Revenant sur leurs pas, ils suivent la rue Saint-Pierre, se jettent dans la rue qui conduit à la partie du rempart dite la Brèche. La petite tour n’est pas gardée… ils se laissent glisser dans le fossé boueux, en gagnent le bord, et arrivent au faubourg Notre-Dame…Vous ne pourrez lire ce curieux roman historique car il est de nos jours introuvable; en revanche, il est possible de dénicher chez les libraires ou sur internet quelques-unes des autres œuvres de Lavayssière, car celui-ci fut un auteur prolifique. Nous en reparlerons dans le prochain numéro du Chercheur d’Or.Frank Bernard

Le Chercheur d’Or2 Le Chercheur d’Or n° 79 / Septembre 2020Les métiers d’autrefois,le char ronAndré Pichot,fi gure du Saint-Junien d’après guer reOriginaire de L’Aigle dans l’Orne, où il est né le 23 décembre 1906, André Pichot arrive à Limoges vers 1938, avec son épouse Marie Madeleine et leur fils Michel, pour travailler dans une entreprise de mécanique. A la fin de la guerre, la famille se retrouve à Saint-Junien où André est embauché comme chef de production dans l’entreprise Bastard, ganterie et bonneterie, établie boulevard Louis-Blanc.LE 23 juin 1990 La Nouvelle Abeille publie une photo datée du 24 juin 1902. L’article qui accompagne ce document décrit Jean Michel, charron, entouré de sa famille et de ses employés, posant devant son atelier rue Defaye à l’occasion de la Saint-Jean. On voit également une partie de son travail : une herse, une charrette, une roue ferrée et une autre en cours de réalisation. Un ouvrier tient un marteau, un autre un « couteau à deux mains ». Le charronnage a besoin de deux savoir-faire : la forge et l’enclume pour façonner le fer, la scie, la varlope et ce « couteau à deux mains » pour travailler le bois.Le métier est bien vivant à cette époque, on se déplace en carriole, on transporte les charges lourdes dans des charrettes et des tombereaux, la brouette sert au jardin ou dans la cour de la ferme…Quelque cinquante ans plus tard, enfant, j’allais souvent regarder travailler Maurice et Henri Puygrenier qui exerçaient encore le métier de charron au Moulin-Gady. Maurice, l’aîné, actionnait le gros soufflet attisant la forge qui entrait alors en éruption comme un petit volcan. Quand le fer après avoir rougi commençait à pâlir, il le portait sur l’enclume et le frappait à l’aide de son gros marteau. Des bouquets d’étincelles jaillissaient, rythmés par les bruits sourds des coups sur le fer, entrecoupés par ceux plus aigus sur l’enclume. Henri, lui, se tenait à l’établi, une varlope ou une scie à la main, occupé à reproduire un des nombreux gabarits accrochés au mur. Les deux frères réparaient alors les charrues, charrettes et tombereaux qu’ils avaient fabriqués quelques années auparavant, mais n’avaient plus guère de commandes pour du matériel neuf. De cette époque, je garde le souvenir impérissable de la fabrication d’une roue de charrette – peut-être la dernière réalisée dans cet atelier –. J’ai vu dégrossir et affiner chaque pièce de bois, j’ai vu cintrer puis souder à la forge la longue bande de fer pour en faire un cerceau géant.Le jour du « mariage » du bois et du métal, des copains sont venus donner « un coup de main ». Àl’extérieur, sur l’arrière de l’atelier, un feu avait été allumé : une bande de feu de quelques dizaines de centimètres de large, aux dimensions du fer. La roue en bois que je voyais maintenant assemblée était à plat, tout près, à même le sol. Lorsque le brasier a été suffisamment « solide » le cercle de fer a été posé dessus.Le feu était régulièrement entretenu, les discussions allaient bon train, mais dans le calme… Puis tout s’est accéléré. Maurice coordonnait la manœuvre : à l’aide de pinces spéciales, à quatre, ils ont porté et ajusté rapidement le cercle de fer rougi sur la roue en bois. Aussitôt, les autres arrosaient le métal pour le refroidir et empêcher le bois de brûler.Au milieu de la fumée, de la vapeur, des ordres et de l’agitation, j’assistais avec mes yeux d’enfant à un instant magique. L’alliance de métal enserrait maintenant le bois et scellait fermement la roue.On peut lire aujourd’hui qu’il fallait de nombreuses années pour maîtriser ces métiers. Tout était fabriqué manuellement avec une précision remarquable.La Nouvelle Abeille mentionne sept charrons au début du XXe siècle. Avant la dernière guerre on en compte encore sept sur la commune, dont Charles Michel, le jeune garçon au maillot rayé sur la photo (qui a succédé à son père Jean), et Léonard Puygrenier avec ses deux fils Maurice et Henri.En 1962, le recensement ne mentionne plus que deux charrons : Henry Puygrenier qui a soixante quatre ans et Junien Bourdier, cinquante trois ans, domicilié rue Anatole-France. Ils semblent travailler seuls.Une page est alors tournée. L’automobile a remplacé la calèche, les tracteurs nécessitent de nouveaux attelages fabriqués en usine, et même si quelques jardiniers poussent encore une vieille brouette en bois, la prochaine sera métallique.En disparaissant, les charrons ont emporté leurs savoir-faire et cette entente admirable entre menuisier et forgeron.Jean MazaudLES Pichot s’installent dans une maison du boulevard Gambetta, au dessus de la ganterie Morange, à deux pas du travail d’André. À la mort de Georges Bastard, il devient directeur de la ganterie mais l’entreprise ferme ses portes dans les années 1950. André Pichot trouve très vite un nouveau poste aux établissements Dordet, où il est affecté à la recherche sur les nouveaux matériaux. Il y finira sa carrière.Il est conseiller municipal de Saint-Junien de 1945 à 1953, élu par deux fois sur la liste M. R. P. (Mouvement Républicain Populaire). En 1945, pour son premier mandat, sa popularité, son enthousiasme et ses convictions le placent en quatrième position en nombre de voix obtenues, devançant ainsi bon nombre de candidats communistes, en particulier Martial Pascaud qui deviendra maire et le restera jusqu’en 1965.Il est très impliqué dans la vie associative de la ville, principalement à l’É toile Bleueoù il est moniteur et responsable de la gymnastique et surtout peintre-décorateur de théâtre. Durant plusieurs décennies ses fonds de scène accompagneront les pièces de la troupe d’artistes amateurs, ce qui lui vaudra une réputation d’homme incontournable et indispensable du patronage.Grand est son talent de peintre ; autodidacte, la peinture à l’huile, le fusain et le pastel n’ont pas de secret pour lui. Il exécute de nombreux tableaux représentant Saint-Junien et sa région et ses copies d’œuvres célèbres sont d’une qualité remarquable.Ni marin, ni membre de l’association des « Cols Bleus de Saint-Junien », il y est intégré par le président de l’époque, le marquis des Montiers-Mérinville, pour les peintures murales qu’il exécute au siège de l’association, le café Raygondeau, rue Vermorel. Ces fresques, de grandes dimensions et d’un réalisme extraordinaire, représentent des scènes de la Marine Nationale. Aujourd’hui disparues, elles restent dans la mémoire de bon nombre de Saint-Juniauds ; seules des photographies nous les rappellent. André Pichot est décédé à Saint-Junien le 8 mars 1983, à l’âge de 77 ans. Que reste-t-il de ses nombreux tableaux aujourd’hui ? Homme de cœur et d’une grande gentillesse, il donnait un tableau à qui lui rendait visite ou simplement pour faire plaisir. Sa production est maintenant dispersée et son fils ne possède que trois ou quatre de ses œuvres ; mais il est probable que des toiles d’André Pichot sont encore conservées à Saint-Junien.Jean-René Pascaud