N° 61mars 2016Le Chercheur d’OrSupplément à « La Nouvelle Abeille de Saint-Junien »n° 1262 du vendredi 1er avril 2016. Ne peut être vendu séparément.Un chemin de croix pour monter au cielEn décembre dernier, le geste stupide qui a mis le feu dans la collégiale n’a pas eu, fort heureusement, de graves conséquences pour l’édifice.Une pièce cependant de son riche mobilier religieux a quelque peu souffert des flammes, une des quatorze stations du chemin de croix qui orne la nef. C’est l’occasion de mieux connaître ce chemin de croix, aussi intéressant par son histoire que par sa qualité artistique.Il y a tout juste 120 ans, le dimanche 16 février 1896, le chemin de croix était béni solennellement par le curé-doyen en présence « des généreux donateurs ».Ceux-ci, malgré la valeur considérable de leur offrande (4.000 francs), ne sont nulle part indiqués, ce qui est certes le signe de leur humilité chrétienne mais ce qui s’explique aussi par les circonstances particulières de leur geste. Les donatrices du chemin de croix sont en effet Léontine Quichaud, veuve de Lucien Dumas, et ses filles Claire et Marie Dumas. Or Lucien Dumas, riche industriel et maire de Saint-Junien, décédé subitement en décembre 1894 à l’âge de 48 ans, avait rejoint la franc-maçonnerie dès l’âge de 20 ans. Dans ses derniers instants, fidèle à ses convictions, il avait enjoint à son épouse de ne pas lui donner d’obsèques religieuses. Or Léontine Quichaud était une femme d’une grande piété, pour qui le respect de la volonté de son époux avait été un crève-cœur. Aussi l’offrande du chemin de croix à la collégiale de Saint-Junien était pour elle, plus qu’une œuvre pieuse, un moyen de « racheter l’âme » de son défunt mari. Cependant, sans doute pour ne pas froisser les amis de Lucien Dumas et éviter les polémiques, la mise en place du chemin de croix se fit dans une grande discrétion (aucune mention dans L’Abeille de Saint-Junien).La valeur du don de Léontine Quichaud témoigne de l’importance qu’elle accordait à son geste. C’est une œuvre d’art monu-mentale, qu’elle a choisi de commander à un atelier de sculpteurs renommé, probablement l’atelier Charles Champigneulle de Bar-Le-Duc en Lorraine. Les personnages en terre cuite polychrome, modelés en haut-relief sur un fond peint, ont conservé malgré le temps beaucoup de viva-cité dans leur expression. Chaque tableau, de 1,50 m sur 1 m, est fixé dans un cadre en chêne massif agrémenté de filets dorés, de style néo-gothique, l’en-semble mesurant 2,60 msur 1,40 m. Les quatorze stations ont été solidement accrochées aux piliers et aux murs de la nef par un serrurier-mécanicien de Saint-Junien, Etienne Vivien.Peut-être verrez-vous désormais d’un autre œil le chemin de croix de la collégiale, émouvant témoignage de foi chrétienne et bel exemplaire d’art religieux de la fin du XIXe siècle.Frank Bernard> Traces de l’incendie sur le mur de la collégiale. > Première station du chemin de croix.© Photo Hervé Chantegros.

Le Chercheur d’Or2 Le chercheur d’Or • N° 61 Imars 2016Plaques commémoratives de la collégiale de Saint-JunienQui sont-ils, que sait-on d’eux ? 9. Les frères Couraud, une famille décimée> Cimetière de Saint-Junien, tombe des trois frères Couraud.Le 5 février 1889 Antoine Couraud, âgé de 19 ans, teinturier en peaux, épouse à Saint-Junien Fanny Madeleine Mayonnaud, âgée de 17 ans, couturière de gants. De ce mariage vont naître à Saint-Junien trois garçons et quatre filles. L’aîné des garçons, Léon Couraud (104e place sur la plaque), mégissier, de la classe 1912, est incorporé en octobre 1913 et affecté au 170e RI. Au début de la guerre, le 170e RI intégré à la 71e Division de réserve est chargé de la défense d’Epinal. Il part en septembre 1914 en Meurthe-et-Moselle, au nord-est de Baccarat ; c’est là qu’il subit son premier engagement et perd son premier homme. Après une réorganisation en février 1915, le régiment est versé à la 48e DI et part combattre en Champagne.Le 15 mars 1915, Léon Couraud est blessé par balles au combat de Mesnil-les-Hurlus. Dès lors, il va suivre le parcours habituel des blessés : évacuation au poste de secours du régiment, puis à l’arrière, à l’hôpital d’opérations et d’évacuation et enfin, loin du front, à l’hôpital temporaire n°45 à Vichy (Hôtel des Ambassadeurs). Hélas, il ne survivra pas à ses blessures et décèdera le 27 juin 1915. Il sera cité à l’ordre du régiment (n° 26 du 29 avril 1915) : « S’est fait remarquer dès le début de la campagne par son entrain et son énergie, s’étant offert spontanément pour la construction d’une sape a été très grièvement blessé ». Un secours immédiat de 150 francs, décidé par le conseil d’administration du 170e RI, sera versé au père.Son corps sera rapatrié au cimetière de Saint-Junien le 20 décembre 1922. Le deuxième garçon Fernand-Louis Couraud (103e place sur la plaque), de la classe 1916, est coloriste en peaux. Il est incorporé le 10 avril 1915 au 63e RI, quinze jours après que son frère eut été blessé. Il est ensuite affecté au 363e RI de réserve, constituant de la 41e Division d’Infanterie. Ce régiment a passé la première partie de la guerre dans les Vosges, jusqu’en juillet 1915, puis est dirigé vers la Somme jusqu’à mi-1916, ensuite en Argonne. Début 1917, il est organisé en secteur d’attaque, après une période d’instruction au camp de Mailly. Le régiment monte alors dans le secteur de Sapigneul-Courcy au sud de Loivre, à l’extrémité est du Chemin des Dames, non loin du fort de Brimont occupé par les Allemands. Le 16 avril 1917 est déclenchée la célèbre offensive Nivelle. L’attaque permet de prendre Loivre, ce qui est fait à 14 heures et de franchir le canal de la Marne pour contourner Brimont par l’ouest. C’est au cours de cette offensive que Fernand Louis Couraud de la 14e compagnie du 4ebataillon est tué, comme beaucoup de ses camarades du 363e RI. Sa fiche matricule l’indique : mort glorieusement pour la France.Son acte de décès a été retranscrit à Saint-Junien le 16 août 1917.Mais, comme si la guerre ne suffisait pas, le dernier fils, Pierre-Edmond Couraud, mégissier, va disparaître deux ans après Fernand Louis, le 25 mars 1919. Victime d’un de ces accidents de travail fréquents à cette époque, il meurt au lieu dit « Les Seilles ». En quatre ans, les trois garçons de cette famille sont décédés, respectivement âgés de 23, 21 et 19 ans. Jean-Claude Frolich

N°61Le chercheur d’Or • N° 61 I mars 2016 3La démolition du pont Sainte-elisabeth semblait inévitableEn 1845, la nouvelle route 141 est ouverte dans sa partie allant de l’avenue Roche à Gondat, en passant par le confluent de la Vienne et de la Glane, telle que nous la connaissons aujourd’hui. Avant cette date, la seule voie existante pour partir en direction d’Angoulême passait par l’extrémité du faubourg Saler et le pont Sainte-Elisabeth.Ostensions d’hierAlors que la fièvre ostensionnaire commence à gagner Saint-Junien, voici un texte du XIXe siècle, émanant de l’évêque de Limoges. C’est une lettre circulaire de Mgr Lamazou, datée du 25 mars 1883.DEPuis la mise en circulation de cette voie, le vieux pont sur la Glane est négligé, pour ainsi dire mal entretenu malgré son utilisation importante pour aller à Glane bien sûr, mais aussi en direction de Croyer, du Mas et Saulgond.En 1900, le 13 décembre, le conseil municipal demande purement et simplement sa démolition. Un état des lieux alarmant est rédigé : les piles et les culées sont minées par les eaux, des pierres se détachent des voûtes, les parapets sont en partie démolis, les joints de maçonnerie sont dégarnis, la pluie passant au travers de la voie de circulation.Trois propositions sont faites pour un nouvel ouvrage :• Un pont en maçonnerie pour 21.000 F.• Un pont métallique pour 18.000 F.• Un pont en ciment pour 16.000 F.Une autre solution est envisagée : la réparation complète du pont, avec son élargissement en maçonnerie ou en ciment, pour 9.500 F.Rien de tout cela ne sera retenu, par manque de moyens financiers. Le pont sera entièrement réparé pour seulement 4.500 F : ce moindre coût a été le salut pour ce pont médiéval qui fait la richesse actuelle de notre patrimoine.Jean-René PascaudNOmmé en 1881, le prélat ne connaît ces fêtes religieuses que de réputation. Alors qu’à Limoges elles sont interdites, « dans les villes où les processions septennales des ostensions peuvent avoir lieu, (il désire) qu’on leur donne toute la solennité et tout l’éclat possibles (et) surtout qu’elles tirent leur principal ornement du grand nombre des assistants, de leur esprit de foi et de religion ».A Saint-Junien, en cette année 1883, les cérémonies se déroulent selon le programme habituel, sous la présidence de Vincent Déserces. Pour la garde du tombeau et des reliques, l’élection a désigné Junien Dubouchet, sergent, Léonard Chabaud, Louis Cottier et Junien Raymond. Le député Jean Codet, le conseiller général Lucien Dumas et le maire Joseph Thomassin ont reçu chacun leur drapeau.Le 13 mai, si l’on dresse devant l’église « l’arbre aux saints », on replante aussi l’arbre de la Liberté sur la place du Marché (Guy-Moquet).Son état de santé interdit à l’évêque de Limoges d’assister au cortège de clôture, le 3 juin. Parmi les figurants de ce cortège, qui songe à remarquer deux futurs académiciens, Jérôme et Jean Tharaud ? Pour le moment, orphelins de père, ils sont simplement Ernest et Charles, représentant saint Martial et saint François d’Assise. Et le lendemain, avec les autres enfants, ils peuvent participer aux jeux qui leur sont proposés, dont une course en sabots japonais.La conclusion, que l’on voudrait toujours actuelle, est fournie par Gaston Tournade dans L’Abeille du 10 juin 1883 : « Les saints étaient peut-être bien ce dont on se souciait le moins dans toute l’affaire, mais qu’importe ? (…) Les fêtes ont du bon. De ce temps, on oublie un peu de se chamailler. Saints, radicaux, ultramontains, libres-penseursfont bon ménage, et tout le monde est content, surtout les gens de commerce. Vivent les saints d’un beau rapport ! ».Pierre Eberhart

Le supplément « Le Chercheur d’Or » est consultable en ligne à l’adresse : http://gantier.jimdo.com/La version papier est disponible gratuitement aux archives municipales, à la médiathèque de Saint-Junien et à l’office du tourisme.Pour tout renseignement : 05 55 02 30 69 – Courriel : socvp@orange.frEDITIONS L’ABEILLE B.I.P. SASdépôt légal à parution • ISSN 3441-4101 K • ArrONdISSeMeNT de rOchechOuArT. Autorisé pour l’arrondissement judiciaire à publier les annonces judiciaires et légales en matière de procédure civile et de commerce, ainsi que les actes des sociétés. No cPPAP 0615 I 87943 Tirage : 4.000 ex. Abonnement 2016 : 45  • Prix du No 1 Directeur de Publication : François BuSSAc • Rédactrice en chef : Anne chATeNeT • Rédactrice : LouisecArPeNTIer • Rédaction « Le Chercheur d’Or » : Franck Bernard et Société des Vieilles Pierres.Conception graphique : Studio four cat’S : Sébastien cATILLON. Impression :rOTO centre • 45770 SArAN/Graphicolor • 87000 LIMOGeS.L’homme rampantEn cette année ostensionnaire, nombreuses seront les personnes qui iront déambuler dans une collégiale de Saint-Junien richement décorée, pour approcher les reliques de nos saints ou le tombeau de Junien ouvert pour l’évènement.NOS lecteurs ne manqueront pas de faire visiter à leur famille réunie pour l’occasion les richesses de l’église, parmi lesquelles les peintures murales, et pourquoi pas « Le Chercheur d’or » en main ?Dans cette optique, il nous a paru utile de remettre en lumière un petit élément pictural, situé sur une arche du croisillon nord, généralement daté de la fin du XIIIe siècle : il s’agit de « l’ homme rampant » ou « l’homme nu rampant », qui semble se mouvoir au sommet de l’arche pour se diriger vers une hypothétique destination.En 1974 un article de Jean-Pierre Suau, « Une scène de la vision de saint Paul à la Collégiale de Saint-Junien » , paru dans la Revue Archéologique du Centre de la France (tome 13, fascicule 1/2), émettait une théorie fort pertinente et extrêmement convaincante, relative à la présence de ce personnage. Plus de quarante ans après cette publication il est intéressant de reprendre l’explication proposée.Des auteurs plus anciens ont déjà parlé de cette peinture, notamment Charles et Henri Boutant, qui y voient un personnage de « fantaisie », ou Françoise de Catheu qui évoque un « homme retournant vers le limon de la terre ».Jean Pierre Suau voit, quant à lui, la représentation d’une âme, la plupart du temps symbolisée par la nudité des corps, et cette représentation serait tout ce qu’il reste d’un ensemble plus vaste, aujourd’hui disparu. Il s’appuie sur une enluminure datant du début du XIVe siècle, conservée à la bibliothèque de Toulouse (manuscrit 815), représentant le « pont de l’épreuve ».Citons Jean-Pierre Suau : « …un pont étroit, sans parapet, enjambe le fleuve de l’Enfer. Les deux premières âmes s’avancent confiantes, les mains jointes. Mais devant elles ce ne sont plus que des personnages tremblants et rampants qui s’efforcent, tant bien que mal, de franchir la passerelle. Certains sont demeurés accrochés au-dessus du fleuve de l’éternité. A droite, une âme enfin arrivée au bout de ses peines, se cramponne à la porte du Paradis où l’appelle une autre âme victorieuse des embûches. Les autres, moins heureuses, s’enfoncent dans l’eau du fleuve où deux démons les mordent à belle dent. »Il est très aisé de faire le parallèle entre la scène représentée sur l’enluminure et la peinture de la collégiale. Le fameux pont de l’épreuve n’a probablement jamais été représenté, car c’est la structure même de la maçonnerie (l’arche en l’occurrence), qui remplit ingénieusement cette fonction, et fait office de passerelle.Ainsi notre âme en lutte pour gagner le Paradis a-t-elle perdu ses compagnons de route, mais elle témoigne de toute la symbolique qui a, jadis, orné les murs et les voûtes de notre église. Aurait-elle réussi sa périlleuse traversée, ou serait-elle tombée dans la noirceur du fleuve ? Les peintres de l’époque avaient un peu « cranté » son parcours, comme on peut le juger en regardant l’image, donnant un aspect d’engrenage au sommet de l’arche, comme s’ils avaient voulu, par ces marches improvisées, aider notre personnage dans sa progression, un petit coup de pouce venant de simples mortels